Annotation de la main d'Édouard de Silvestre en haut à gauche. : "Cette lettre n'a pu être insérée dans ma brochure, ne m'ayent été envoyée qu'au mois de décembre 1869".
Il s'agit de son ouvrage Renseignements sur quels peintres et graveurs des XVIIème et XVIIIème siècles Israël Silvestre et ses descendants.
Versailles le 17 septembre 1749
Monseigneur,
Je vous rend bien des graces de la bonne opinion que vous avez de ma discrétion et de ma haute prudence, voici quoy qu'un peu tard le pland que vous desirez avoir et je n'y point étée surprise en le prenant. Vous m'auriez fait la grâce complette si vous aviez eu assez de confiance en moy pour ne pas me cacher l'usage que vous en vouliez faire, je vous aurois donné des éclaircissements que trois cent lieues d'éloignement ne permettent pas de pénétrer aux vues les plus nettes. Cependant je crois devoir vous avertir que le petit cabinet qui est marqué verni par Martin est tous les jours de la vie occuppé par Mgr le Dauphin et Mme la Dauphine depuis deux heurs après diné jusqu'à 6 heures du soir qu'ils sont là dans ce qu'on appelle le particulier, où leur principale occupation est la lescture la plus sage et la plus instructive, c'est là vu par un effet de ces bonheurs d'étoile dont on ne pourait rendre compte, je suis admise touts les après dinée avec une bonté et une familiarité qui me pénètre de la plus tendre et la plus vive reconnaissance cette faveur que l'on veut bien m'accorder n'a Dieu merci encor excité l'envie de personne ; les supérieurs ont ici pour moy les bontés auxquelles V. E. [Votre Excellence] m'a accoutumée à Dresde. Les questions de Mgr le Dauphin sur les vertus, les goûts, les amusements de L.L.M.M. sur les caractères des Pinces et Princesses font une partie très grande de tout ce qu'on me dit, puis on parle peinture, musique, poésie. Il est étonnant à quel point Mme la Dauphine possède notre langue. Sa modestie l'empêche souvent de dire son avis, mais rien n'est si sur que le jugement qu'elle porte des ouvrages nouveaux qui paraissent; elle lit prodigieusement et a la mémoire de la famille aussi, sans flatterie, je ne crois pas que jamais princesse de sont âge ait eu l'esprit aussi solide et aussi armé qu'elle l'a. Il m'est permis à présent d'avouer qu'un peu trop de vivacité et d'impatience derait paraitre quelques taches dans le plus beau caractère qui fut jamais, mais ce que je vois, que ni vous ni personne n'avez jamais vu à dix huit ans. Un instant de reflection fait il y a trois mois, luy a fait prendre une ferme résolution à laquelle elle n'a pas manqué une minute. Ce hasard a produit plusieurs fois moy présente de ces choses qui arrivent malgré les soins les plus exacts et ou il semble que la philosophie même échouerait, non, un sourire, une badinerie de la sa part nous prouvait la tranquilité de son âme et cet effort qu'elle fait sur l'esprit le plus vif qui fut jamais, le triompe qu'elle a remporté
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sur la seule passion qu'on craignit en elle luy ont gagné absolument tous les coeurs. Rien n'est plus vray que ce que j'ay l'honneur de vous dire. L.L.M.M. peuvent en être persuadée je croirais même qu'en témoignant à Mme la Dauphine qu'elle le savent et combien elle l'aprouvent, elles l'affermiraient à jamais dans des sentiments qui contribueront beaucoup au bonheur de sa vie lorsqu'ils firent celuy de tout ce qui l'environne, personne ne doit mieux comprendre ce qu'elle coute à acquérir. Mr le maréchal de Saxe a été surpris du changement qu'il a vu et en a été pénétré de joie et de tendresse. Hélas ce jour qu'il vint ici il fut si bien reçu il promit si affirmativement de revenir le lendemain et ce fit le jour de son accident mais grâces à Dieu j'espère qu'il n'aura pas de suite. Il mande à Madame la Dauphine, qu'il se hatte de la revoir plustot qu'il n'aurait cru dabord. J'ay fait voir à cette auguste princesse, Mr la lettre dont V.E. m'a honorée, elle l'a lue avec beaucoup d'attention et me parait toujours recevoir avec distinction les assurances de l'attachement sincére que vous et Me la comtesse conservez pour les délices et l'espoir de la France. Nous attendrons avec la derniere impatience les succès de ces eaux qui ont tant de réputation. Mme la Dauphine porte son attention jusqu'au scrupule pour n'avoir absolument rien à se reprocher et ne sort plus de son appartement quoy qu'aucun signe encore ne puisse nous engager à nous hater de rien au reste sa bonne humeur n'en souffre pas, elle s'occupe et s'amuse, elle a repris le clavecin elle y fait des miracles et s'attache à l'accompagnement comme à ce qu'il y a de plus dificile, de plus solide et de plus durable. La reine vient avec complaisance jouer chez elle et y fait executer le concert deux fois par semaine S. Me disait l'autre jour dans son plus particulier qu'elle n'avait jamais cru pouvoir aimer une bru comme elle aimait Mme la Dauphine et qu'elle n'en faisait nulle différence avec ses propres enfants. Le Roy de même lui témoigne une tendresse infinie. Il faut finir et je ne finirais point si je ne vous disais tout ce que je sais de satisfaisant pour leurs Majestés qui ont enrichi la France d'un trésor inestimable. Faites moy la grâce, Monseigneur, de me pardonner la longueur de mes écritures, mon grifonnage, faites moy celle d'être toujours mon protecteur auprès de LL. M.M. de me mettre le plus humblement à leurs pieds et de me croire ave le plus profond respect et un attachement inviolable de V.E.
Monseigneur
votre tres humble et très obéissante servante
Marie de Silvestre
Il y a près de trois semaines que je n'ay vu mon père, je vais demain à Paris passer une couple de jours avec luy,j'ose vous assurer que son respect pour V.E. est toujours parfait, faites moy la grâce de me trouver des moyens proportionnels à ma faiblesse d'être quelquefois d'une petite utilité aux augustes Princes qui me comblent de bienfaits. Ce sont les moments les plus doux de ma vie et dont je ne pourrai jamais vous manquer toute ma vie reconnaissance. Faites aussi Monseigneur que je vous sois bonne à quelquechose dans ma patrie ou à Mme la comtesse qui connait mon profond respect.
Lettre de Marie-Maximilienne de Silvestre au comte de Wackerbarth
17 septembre 1749
Source :
Archives nationales 383AP_1