Arr.de Rouen. - Morgny-la-Pommeraye. - Le mardi 24 juin dernier, la modeste paroisse de Morgny devait être dans la joie et l'allégresse : ce jour-la avait lieu la première communion des enfants. Mais, hélas ! il n'en fut pas ainsi, ou du moins on ne saurait dire lequel de ces deux sentiments si opposés, la joie et la tristesse, remplissait le cœur des habitants.
Dès le matin de ce beau jour, M. le curé avait été mandé en toute hâte au château de la Pommeraye, et déjà de noirs pressentiments s'emparèrent de ceux qui furent les témoins de ces allées et venues inaccoutumées à pareille heure. Mais quand, deux heures plus tard , à la messe de communion, M. le prédicateur, s'adressant aux enfants, leur eut dit : « Mes enfants, si déjà vous n'aviez plus de mère, je vous dirais : Vous êtes encore une fois orphelins (1) . » Tout le monde comprit la fatale nouvelle, que plusieurs ignoraient encore, et fondit en larmes.
En effet, une noble existence, une de ces âmes d'élite comme il y en a peu de nos jours, venait de s'éteindre à la fleur de l'âge, vingt-huit ans.
Mme la baronne de Silvestre, née de Saint-Guilhem, issue d'une noble famille du Midi, était partie pour un monde meilleur, laissant un mari inconsolable d'un si affreux malheur, quoique résigné en Dieu, ainsi que deux petits enfants dont elle avait déjà su incliner le cœur à la plus tendre piété. Trois jours auparavant, rien ne faisait pressentir une telle catastrophe. :Aussi qui pourra dire la perte immense que cette mort soudaine vient de faire ? Quel vide elle laisse non seulement dans cette maison de la Pommeraye dont elle était l'âme, mais encore dans cette paroisse de Morgny, qu'elle aimait, et où elle était elle-même si aimée !
Depuis le peu d'années que M. et Mme de Silvestre habitaient leur propriété, chaque jour était pour eux une occasion de bienfaits.
La maladie a été de courte durée, mais la mort n'est pas venue la surprendre. Une pieuse indiscrétion nous autorise à dire qu'elle y pensait sans cesse et sans cesse s'y préparait. L'on pourrait même lui appliquer cette parole des Proverbes : Elle souriait à son dernier jour. Elle écrivait à l'une de ses tantes (2), sa mère d'adoption à l'âge de seize ans : « Je suis trop heureuse ici-bas, je redoute quelque grand malheur soit pour moi, soit pour les miens ; priez Dieu pour nous, et que sa sainte volonté soit faite. » Quelle vertu dans une si jeune femme!
Pour nous qui écrivons ces lignes, nous garderons une impression profonde de sa piété qui paraissait au dehors dans toutes ses actions, souvent même dans ses conversations, toujours sans ostentation ni affectation , de sa douceur, de son affabilité, de sa modestie, de son humilité, et de l'intérêt qu'elle prenait aux humbles et aux petits. Non, nous n'oublierons jamais et nous rappellerons souvent au Seigneur celle qui fut si pieuse envers lui, si affectueuse et si tendre envers les siens, et si bienveillante envers tous ceux qui l'approchaient.
(1) Sur dix enfants de première communion, cinq avaient été habillés par Mme la baronne.
(2) Mme la comtesse de Saint-Guilhem.
Décès de Suzanne Delpech de Saint Guilhem
24 juin 1884
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