Versailles, 1er janvier 1756.
MONSEIGNEUR,
Je suis confuse de tous les torts dont je suis chargée envers Votre Excellence qui a la bonté de se souvenir si souvent de moi; qui me fait la grâce de m'écrire des lettres toutes remplies de sentiments qui me pénètrent de reconnaissance, qui entretiennent et augmentent sans cesse l'inviolable attachement que j'ai pour elle depuis plus de trente ans, et que je conserverai toute ma vie : je ne vous ai pas seulement remercié, Monseigneur, de la magnifique boîte que vous m'avez envoyée, qui est unique et que tout le monde admire ! Lorsque le beau temps sera venu, s'il vient, je prendrai la liberté de vous envoyer un petit morceau de mon ouvrage, que je vous supplie de recevoir avec bonté.
Pour faire ma paix, aujourd'hui, je vous envoie la lettre ci-incluse ; on me la donna trop tard, la semaine passée ; le courrier était parti.
Lundi dernier, Mme la Dauphine releva de ses couchesNote , en parfaite santé et plus belle que jamais. La joie de la voir reparaître en public fut générale. Elle est adorée et doit en être bien convaincue d'après les craintes que la légère incommodité qu'elle a eue, les premiers jours de sa couche, a causées à la Famille Royale et à la nation, et d'après la joie sincère et vive qu'a produite son parfait rétablissement. Cet amour qu’on lui porte pour elle-même, elle ne peut plus le soupçonner d'être intéressé, depuis que sa fécondité a si bien assuré le repos de l'État. Nos trois princes sont beaux et bien portants. Le troisième était né un peu délicat, mais comme il s'est trouvé, par bonheur, avoir la meilleure nourrice du monde, il s'est embelli et a profité considérablement depuis sa naissance.
Je compte, Monseigneur, que ma lettre vous trouvera dans la joie, par suite d'un nouveau présent que vous aurez reçu du ciel. Soit prince, soit princesse, qu’il soit le bienvenu l Que Dieu soit loué l et qu'il daigne bénir et récompenser a jamais cette auguste famille qui a enrichi ma nation d'un trésor inestimable ! Qu'il vous donne, à vous, Monseigneur, la consolation de voir vos arrière-neveux la servir, et qu’il les rende dignes de cette faveur en leur donnant votre zèle et vos vertus !
Il y a deux mois que je suis accablée de rhumatismes. J'ai toujours griffonné, mais une douleur dans le bras rend mon écriture presque inintelligible ; je vous en fais, Monseigneur, mes humbles excuses. Mm la duchesse de Brancas est partie, avant hier, pour Paris, quoique fort incommodée, parce que Mr le duc, son époux, était malade ; on craignait même pour lui une attaque d'apoplexie. On m'a assuré, hier, qu’il était mieux. Il est très-infirme et dans un âge fort avancé.
Mon père est toujours bien, Dieu merci, quoique dans la quatre-vingtième année de son âge. Il m'a chargé, ainsi que Mr l'abbé Allaire, de vous remercier bien humblement de toutes vos bontés pour eux, et de vous assurer qu'ils restent les plus fidèles de vos serviteurs. L’incommodité de M.me de Salmour m'a bien inquiétée, et j'ai été très-heureuse d'apprendre son entier rétablissement. Dieu vous la conserve, et sa chère famille ; et vous conserve aussi, Monseigneur, pour leur bonheur à tous ! Continuez-moi l'honneur de vos bontés, et me croyez toujours, avec l'attachement le plus sincère et le plus respectueux, de Votre Excellence,
Monseigneur,
La très-humble et très-obéissante servante,
Marie de SILVESTRE.
P. S. Je vous supplie, Monseigneur, de ne pas faire connaître, s'il est possible, à Mme la Dauphine que la lettre a été retardée d'un ordinaire ; cela ferait tort a une personne toujours fort exacte, et qui, malheureusement, a oublié de me la remettre à temps.Note
Lettre de Marie-Maximilienne de Silvestre au comte de Wackerbarth
1 janvier 1756
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