Fontainebleau, ce 13 octobre 1752
Monseigneur,
Est-il possible que je doive réponse à trois de vos lettres ! J'en suis toute honteuse ! Je vous supplie de croire que les voyages auxquels j'ai été indispensablement obligée depuis la maladie de M. le Dauphin m'ont seuls fait commettre une faute que je croirais irréparable, si l'excès de vos bontés pour moi m'était moins connu.
J'ai remis à Mme la duchesse de Brancas les livres que M. Hutin a apportés ; elle les a reçus avec tout le respect et toute la joie que devait lui causer un si beau présent. Je lui ai laissé le soin d'exprimer elle-même combien elle vous a d'obligation, Monseigneur, pour lui avoir donné cette précieuse marque de souvenir, qui, au reste, ne pouvait s'adresser à personne qui en connut mieux la valeur. Elle vous aurait même écrit sur-le-champ, pour vous en témoigner toute sa reconnaissance, mais, bon Dieu ! mettez-vous un moment à la place de ceux qui ont vu de si près le plus grand malheur que nous eussions à craindre ! Vous peindrez-vous jamais nos terreurs et nos peines ? Combien le temps nous a paru long et affreux ! Si vous connaissiez celui que nous avons été sur le point de perdre ! Sa tendre épouse ne lui aurait pas survécu. Qu'elle était digne de respects dans ce temps de douleurs et d'alarmes ! Grâce à Dieu, la convalescence a été prompte et heureuse. Vous avez opiné juste pour la saignée. Il ne faut pas, dans cette traîtresse maladie, juger sur les apparences. Les règles générales ne sont pas praticables ; il est prouvé que, sans la saignée, nous perdions le prince le plus aimable et le plus parfait que la France ait jamais reçu du ciel.
Je vous envoie, Monseigneur, le détail exact de la marche de sa maladie et de la façon dont elle a été traitée. C'est M. Bouilhai, premier médecin de Mgr le Dauphin et de Mme la Dauphine qui me l'a remis, signé de sa propre main. Il est accoutumé à envoyer à la Reine de Pologne un semblable détail circonstancié aux couches de Mana la Dauphine. Le présent exposé est pour le même usage. Je vous prie de le faire copier pour votre propre satisfaction ; d'en faire part a leurs Altesses Royales, puis de vouloir bien le faire parvenir vous-même entre les mains de Sa Majesté ; je n’ose prendre cette liberté.
L’auteur de ce mémoire est un homme sincère, excellent citoyen, le serviteur le plus fidèle ; haïssant également les tracasseries et les tracassiers ; ne faisant absolument la cour qu'à ses maîtres ; occupé uniquement de ce qui les regarde, et osant leur dire la vérité lorsqu'ils la lui demandent. Très en butte à l'envie, on a cherché vingt fois à le perdre avec toute la noirceur qui ne se rencontre que trop souvent dans les cours et dans les villes ; et cela, parce que le Roi le protège et le soutient, et qu’il lui a donné cette place de confiance, le connaissant pour un homme de mérite et de probité ; et le Roi est juste.
J'en veux venir, Monseigneur, à vous demander une grande grâce. Assurément, le galant homme est sensible à l'honneur ; il ne l'est qu'à cela. Examine-s’il n'y aurait pas trop de hardiesse a tâcher d'obtenir que la Reine de Pologne l’honorât de quelques lignes de sa propre main, par lesquelles elle voulut bien lui témoigner que cette attention qu’il a pour Sa Majesté lui est agréable. Lorsque Mgr le Dauphin et Madame la Dauphine sont absents de la cour, il a l'honneur de rendre compte au Roi de l'état de leur santé, et leurs Majestés lui répondent toujours de leurs propres mains. J'ai cru que Mme de Salmour pourrait se charger de cette importante négociation qui rendrait heureux un homme habile. Du reste, je m'en remets entièrement à votre prudence.
Vous êtes bien bon, Monseigneur, de vous intéresser si vivement à mon père, et a l'honneur que l'Académie de peinture lui a fait. Je Vous avoue tout naturellement que j'y ai été très-sensible, comme aussi à Voir tout un corps de connaisseurs justifier les louanges obligeantes d'un grand Roi et de son auguste famille. J'ai éprouvé une sorte de tranquillité, comme un repos de conscience, en voyant que les talents de mon père, s'ils n’égalent pas les bienfaits du plus généreux des princes, ont pu mériter, de sa part, un regard de préférence et de bonté sur les ouvrages qu'il a eu le bonheur de faire pour lui.
Son tableau d'autel est fini, et je souhaiterais que son grand âge lui permit d'entreprendre le voyage de Saxe, comme il lui a permis de poursuivre un aussi grand ouvrage. Mais je crois qu’il y aurait trop d'imprudence et de risques, en quelque saison, d'ailleurs, que cela pût être, et quelque joie qu’il dût en ressentir ; car, assurément, ce serait le comble de ses vœux. Il serait pénétré du bonheur de revoir ses maîtres et tous ses bons protecteurs. Il est en particulier, Monseigneur, touché de toutes vos bontés.
Je vous fais mon compliment de condoléance sur l'absence de vos chers enfants, le comte et la comtesse de Salmour. Madame la Dauphine me fait souvent la grâce de me parler de ce mariage auquel elle a pris un véritable intérêt. Tout le détail que vous lui avez envoyé touchant les couches heureuses de son Altesse Royale lui a été extrêmement agréable. Vos lettres lui font beaucoup de plaisir, et je les lui présente avec joie et confiance, sûre d'être bien reçue. On écrit des merveilles sur la réussite des princes en Pologne. On dit qu'ils y sont adorés, et je n'en suis pas surprise. L'état où s'est trouvée S.A.R. Mme la Princesse, l'a privée, cette fois-ci, d'accompagner leurs Majestés, mais c'est ce dont console aisément la naissance d'un fils. Une autre fois, elle recevra à son tour, ainsi que son auguste époux, tous les hommages qu'ils méritent. Gagner tous les cœurs est leur volonté et leur lot.
Pardon, Monseigneur, de la longueur de ma lettre. Conservez à moi et aux miens l'honneur de votre protection, et faites-moi la grâce de me mettre humblement aux pieds de leurs AA. RR.
Je suis avec un profond respect,
Monseigneur,
Votre très-humble et très-obéissante servante,
Marie de Silvestre
Lettre de Marie-Maximilienne de Silvestre au comte de Wackerbarth
13 octobre 1752
Source :