Dresde, 9 janvier 1752.
MADEMOISELLE,
Monsieur le Bon Le Fort m'a remis, ces jours passés, la lettre dont vous m’avez honoré, le 13 décembre dernier, et il m'a dit, de vive voix, mille choses ravissantes de Madame la Dauphine ainsi que de toute son auguste famille. Mais, avant d'entrer dans plus de détails à ce sujet, je dois m'acquitter des ordres de S.A.R. Mme la Princesse Elect. touchant le reste des diamants que M. de Bondé a encore entre les mains, à compte de Mme la Princesse Elect. Celle-ci a déjà donné commission à Mr votre frère de faire en sorte que ces diamants lui soient renvoyés ici, à Dresde ; mais, au cas où M. de Bondé ne les aurait pas encore rendus, Mme la Princesse, acceptant la proposition que vous lui faites, veut bien consentir à ce que M. de Rondé les emploie pour en former une fleur en guise d'aigrette, bien montée, pour être mise sur la tête de S.A.R. qui connaît le bon goût et le mérite de l'ouvrier dont elle a été fort contente.
Madame la Princesse et son époux m’ordonnent, en même temps, de vous faire mille amitiés de leur part.
Mr Amelot Rouissil ne m'a pas encore mandé sa réception au régiment de MM la Dauphine. C'est a vous, mademoiselle, que j'en ai l'obligation. Il devra à votre bon cœur et a votre recommandation toute sa fortune, s'il s'applique et s'il se conduit bien au métier qu'il a embrassé. Je ne suis pas très-content du nommé Clermont ; il a écrit à Mme la comtesse douairière, sœur de la défunte, à Freyberg, une lettre fort impertinente ; mais je veux la dissimuler, et je vous prie de lui continuer votre protection sans lui faire de reproches.
Avant que Mme la duchesse de Brancas ait vu, dans la copie du tableau de Neuhaüs, ma triste figure, j’ai lu des lettres de M.me la Duchesse dont le style m'a ravi et fait connaître la dignité et la douceur des sentiments de cette respectable dame, au point que j'en ai été épris. Dites-lui, je vous prie, de ma part, qu'elle a su captiver ma raison avant que mon portrait lui ait parlé en ma faveur. Ne pouvant avoir l'honneur de lui rendre mes hommages en personne, j'aurai, du moins, la consolation d’offrir mes services à Mrs de Lauragais, ses petits-fils, dès qu’ils arriveront à Dresde ; rien n’égalera mon empressement à mériter leur estime et leur amitié
Je sais que Mr de Silvestre a mis la main au grand ouvrage qui doit immortaliser sa belle vieillesse ; je l'en félicite de bon cœur, et je suis impatient de Voir le tableau et l'artiste qui l'aura peint.
Faites-lui, je vous prie, mille compliments de ma part.
J’ai réservé pour la bonne bouche l'article qui concerne notre adorable Dauphine. La vivacité de nos désirs, et ceux de la France, l'ont jugée enceinte plus tôt que cela n’était en réalité ; elle nous pardonnera, j'espère, notre méprise, et je la prie de nous en punir au plus vite, en réalisant nos conjectures et nos désirs avant la fin de cette année. Il nous faut un duc d’Anjou et, en attendant, nous prions Dieu qu’il nous conserve le duc de Bourgogne. J'en ai déjà toutes les mesures, en long et en large. Il me semble le Voir croître sous mes yeux, en voyant croître notre jeune prince Frédéric-Auguste. Je leur donne, à peu près, les mêmes traits du visage, et les mêmes dispositions du cœur. Je me figure les voir jouer ensemble, et je me vois toujours en troisième avec eux. Ne sont-ce pas là d'agréables rêveries ? Il faut le pardonner aux vieillards qui voudraient servir leurs maîtres jusqu'à la cinquième génération.
Baisez pour moi, baisez cent fois, je vous prie, les menottes du duc de Bourgogne et celles de Madame, sa sœur. Je m'étais proposé d'écrire une longue épître à Mme la Dauphine ; l'ouverture du carnaval m'aurait fourni assez de matière à l'amuser, mais j'ai éprouvé, il y a huit jours, un symptôme qui ressemblait tant soit peu à une attaque de paralysie, qui m'a beaucoup abattu et dont j'ai eu bien de la peine à me remettre.............
Lettre du comte de Wackerbarth à Marie-Maximilienne de Silvestre
9 janvier 1752
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